Indépendamment du résultat des élections aux Etats-Unis, le budget 2021 proposé par l’administration américaine consacrera des sommes sans précédent au développement de l’IA et des technologies de calculs quantiques. Si la décision découle prioritairement d’objectifs militaires, de lutte contre les cyber-attaques, de suprématie politique ou de projets de grande ampleur dans le spatial, comme les missions martiennes, il convient de s’interroger sur les bénéfices potentiels à court ou moyen terme que l’on peut raisonnablement attendre au niveau des entreprises ou du grand public.

Les nouveaux supercalculateurs

La course à la « future » tech, en particulier entre la Chine et les Etats-Unis, se déroule sur deux axes principaux : les supercalculateurs « classiques » et les futurs calculateurs quantiques.

Sur le premier front, les Etats-Unis sont ainsi en passe, entre autres, de lancer en 2021 le « Frontier » à la demande du Department of Energy. Ce bijou de 600 millions de dollars développé par la société Cray inaugure l’ère des « exascales », puisque la puissance dépassera les 1,5 exaflops. Une telle puissance donne accès à des capacités de Deep Learning et d’analyse de données prenant en compte des volumes de données sans précédent. Si l’objectif est avant tout la recherche, des impacts à court terme dans l’industrie sont attendus dans les activités de calcul numérique (résistance des matériaux, thermodynamique, nanotechnologie…), dans le traitement temps réel des données multi-senseurs de l’Internet des Objets ou dans l’apprentissage rapide par un robot de nouvelles tâches ou de traitements particuliers à effectuer.

Les attendus de l’IA

La pandémie en cours va mettre l’accent sur la part de l’utilisation prévue dans le domaine de la santé, avec des possibilités accrues non seulement dans le traitement statistique des résultats de tests ou des essais cliniques, mais également dans le suivi de l’évolution des clusters ou de l’impact des mesures sanitaires. Plus généralement, les chercheurs vont pouvoir appliquer les nouvelles capacités d’analyse des signaux faibles, qui ne manqueront pas d’être développées dans des optiques économiques et financières, à différents domaines d’intérêt pour le plus grand nombre. L’évolution de l’IA a donc un impact immédiat dans les secteurs où les modélisations sont par essence complexes, comme le réchauffement climatique, la transition énergétique ou l’impact des nouvelles mobilités ou urbanisations à l’échelle d’une métropole.

En effet, la puissance fournie aux logiciels d’IA par la nouvelle génération de supercalculateurs permettra de détecter « rapidement », dans des volumes de données très importants, des « patterns », motifs et tendances jusqu’ici invisibles. Il y aura potentiellement de nouvelles connaissances sur l’impact sur nos vies de phénomènes aussi variés que les vents solaires, les ondes 5G ou les temps de trajet domicile-travail, exemples de sujets sur lesquels de nombreux chercheurs travaillent actuellement.

Le calcul quantique

En particulier depuis le « Quantum Initiative Act » de 2019, le calcul quantique est devenu le second front de cette course à l’armement « data ». Et il ne se limite pas aux actions gouvernementales, aux laboratoires des grandes universités ou aux manufacturiers historiques comme IBM ou Honeywell : Google, Microsoft ou AliBaba sont dans la course pour offrir des outils de développement ou des services Cloud aux chercheurs et développeurs. Tous ont en tête les promesses de la technologie qui pourraient offrir la possibilité de découvrir ou simplement d’estimer suffisamment précisément de nouveaux patterns de Big Data pour réaliser de nouveaux outils marketing ou économiques hautement profitables. Avec des applications aussi variées que la voiture ou l’avion autonome, la prédiction allant de la météo aux élections ou à l’estimation préalable de la qualité ou du résultat financier lié au lancement d’un nouveau produit industriel.

Certes la scalabilité des processeurs quantiques est un problème très complexe et, aujourd’hui, ils peinent à dépasser les 50 qbits, niveau où ils sont plus ou moins équivalents aux supercalculateurs classiques. Et si la concurrence émule la recherche technologique, elle divise aussi les travaux et financements entre les différentes options actuellement étudiées pour réaliser les qbits : supraconducteurs, ions piégés, photons, atomes froids, silicium, etc… Mais à un horizon de 10-15 ans, la fameuse « suprématie quantique » a de fortes chances de se réaliser. En regardant même un peu plus loin, la création d’un « Internet quantique », sous réserve de pouvoir déployer largement des équipements aujourd’hui très volumineux et coûteux, pourrait être envisagée si l’on considère l’intérêt global à réduire à un très petit nombre les acteurs à même de réaliser les attaques de cybersécurité classiques. Ce qui minimiserait d’une part les attaques ciblées contre les dossiers personnels ou confidentiels, mails, transactions financières et autres contenus payants ou propriétaires, mais surtout pourrait mettre à l’abri des attaques de grande envergure au sein des industries, administrations, organismes de défense et réseaux télécoms.

Le retour à une informatique industrielle

Quel que sera le futur technologique exact, l’une des leçons semble être que nous entrons dans une nouvelle ère économique du développement informatique. Jusque dans les années 1990, l’essentiel des investissements et des travaux répondait aux demandes des entreprises et administrations. La technologie étant par la suite diffusée dans le grand public. Avec le déploiement des services en ligne, de la « smartphonie » mobile et des réseaux fibre et GSM, nous avions basculé dans un monde massivement tiré par l’offre aux particuliers. L’IA, tout comme la 5G et l’Internet des Objets, au moins à court terme, marque un retour vers une informatique nettement plus « drivée » par l’industrie, la recherche ou les grands projets nationaux. Si, comme semble le laisser entrevoir les plans gouvernementaux d’envergure, malgré la période troublée, cela s’accompagne d’un focus repassant du court au moyen terme, alors on peut sans doute attendre de grandes choses des milliards actuellement investis.