La semaine dernière a eu lieu le 117ème Congrès des Notaires de France, avec un focus tout particulier sur la transformation numérique de l’environnement notarial. En conclusion, la profession s’apprête à remettre aux pouvoirs publics des propositions pour accompagner le citoyen confronté à la digitalisation expresse de la pratique juridique.

Que retenir des deux ans de réflexion sur le sujet, venant d’une profession dont l’essence même est la gestion du Big Data, et qui est particulièrement au cœur des problématiques de données individuelles, contractuelles ou patrimoniales ?

Le contexte : nécessité de protection, volonté politique, intérêt social…

Cette réflexion arrive à un moment où les planètes semblent parfaitement alignées.

Avant tout, la transformation digitale de notre monde fait naitre de nouvelles menaces pour les citoyens. En particulier, les très nombreux travaux à l’échelle européenne qui ont conduit au RGPD et l’impact de celui-ci sur l’ensemble des clauses contractuelles tous domaines confondus ont assuré une forte sensibilité des citoyens sur le sujet de la protection de leurs données personnelles.

Les notaires sont vus comme garants de patrimoines, contrats, droits et autres valeurs qui sont une cible permanente des différents pirates numériques. Le citoyen attend donc d’eux qu’ils fassent partie de l’attirail de protection numérique. Les pratiques notariale et juridique sont donc tenues d’intégrer rapidement le cyberespace, sous peine de ne plus pouvoir exercer leur fonction première.

Dans le même temps, les pouvoirs publics réalisent la transformation numérique de l’administration et la dématérialisation de l’action publique. Celles-ci ne sauraient oublier la fonction notariale pour compléter la création d’un cybercitoyen ayant accès à une e-administration généralisée à tous les aspects de la vie sociale.

Métier transgénérationnel par essence, le notariat se doit naturellement de prendre en compte les usages et habitudes culturelles des nouvelles générations. En particulier car l’une de nos faiblesses connues consiste à oublier de « notarier » certains événements critiques de nos existences (dépôts de brevets…). La présence « en ligne » des études notariales peut donc avoir un réel impact positif sur la protection des personnes, ainsi que de leurs droits et patrimoines.

A l’inverse, en France, quelques 800.000 personnes sont encore en situation d’illectronisme et la migration de nombreux services, publics comme privés, sur le Net pourrait aggraver la fracture numérique. Il convient donc d’assurer de manière pérenne l’accès de chacun à l’internet, lequel devient de fait un patrimoine à protéger.

… et possibilité technologique

La période est donc très opportune, car les récentes évolutions et innovations technologiques apportent un arsenal d’outils à même d’adresser ces besoins politiques et sociaux. A titre d’exemples, on peut juste citer :

    • Le Big Data ou le Cloud permettant d’assurer la conservation et l’accès aisé aux données (individuelles, patrimoniales, contractuelles…).
    • L’Intelligence Artificielle, la biométrie ou l’analyse comportementale permettant de s’assurer de l’identité ou de détecter des manœuvres frauduleuses ou des activités sous la contrainte.
    • La Blockchain permettant de tracer l’origine ou l’authenticité de certains biens ou de certaines informations.
    • Les bases de données et outils de recherche en ligne qui permettent de retrouver traces de certains biens ou de certaines personnes (héritiers, témoins, bases de données géographiques cadastrales, brevets, propriété intellectuelle…).
    • Les smart contracts qui permettent d’automatiser, fiabiliser et sécuriser la bonne exécution des contrats.

Le RGPD donne un cadre pour le développement d’outils spécifiques protégeant les citoyens ou leurs données.

  • Etc.

Sans oublier bien entendu l’atout essentiel que constitue désormais la multiplicité des moyens d’accès au Net et d’identification (smartphone, 5G, double authentification, passeport numérique…) qui permettent au notaire comme au citoyen d’accéder aisément au cyberespace. Facilité renforcée par la crise sanitaire qui a assuré une large diffusion des différents outils de télétravail ou de téléconsultation.


Face à ce constat, le Congrès des Notaires a judicieusement proposé de contrôler et de tirer partie de la transformation numérique plutôt que de la subir, en assurant en particulier :

Reconnaitre l’accès à l’Internet comme droit fondamental

Afin notamment de lutter contre la fracture numérique, l’accès personnel à l’Internet doit être reconnu comme un droit fondamental du citoyen. Ceci impose en particulier que la loi reconnaisse le caractère insaisissable des moyens personnels donnant cet accès. Quelles que soient les circonstances ou les accidents de la vie, le citoyen doit conserver son accès à l’e-administration, sa capacité à trouver un emploi, etc.

Les notaires proposent aussi que la société assure l’accompagnement des personnes vulnérables ou ne possédant pas toutes leurs capacités cognitives ou faisant l’objet d’une protection juridique à la personne, dans l’ensemble des usages numériques.

Notons cependant que dans les propositions, certaines questions restent ouvertes. Ainsi, la personne chargée de l’accompagnement ou de la protection juridique doit-elle avoir le droit de procéder à une déconnexion arbitraire ou un effacement des données personnelles de la personne vulnérable au titre d’éviter que celle-ci soit exposée à des risques (contenus inappropriés, arnaques, fake news, etc.). On est là dans des questions plus larges que le cadre notarial (assistance à personne en danger, lutte contre le harcèlement, responsabilité des contenus en ligne, etc.) que la transformation numérique de notre société devra dans tous les cas adresser par ailleurs.

Assurer la protection des données personnelles, y compris post-mortem

Le Congrès propose aussi l’alignement de la protection des personnes majeures sur les règles déjà établies pour les mineurs, en particulier en ce qui concerne le droit à l’effacement des données. Il semble en effet peu compréhensible que le « droit à l’oubli » en particulier soit perdu concernant les données recueillies après la majorité.

Un point où le RGPD n’est sans doute pas allé au bout de la réflexion est l’accès aux données personnelles d’une personne décédée, la gestion de celles-ci et leur effacement le cas échéant. En effet le droit d’accès est essentiellement donné à la personne elle-même, et non pas aux héritiers. D’ailleurs la notion d’héritage est pour l’instant très vague en ce qui concerne le patrimoine numérique. Il y a là un trou dans la raquette qu’il conviendrait d’éliminer rapidement.

En particulier, à l’instar de ce qui se fait pour le don d’organes, peut-être faut-il aussi sensibiliser fortement les personnes à donner de leur vivant des directives concernant l’effacement, la conservation et la communication post-mortem de leurs données personnelles. Il y a déjà peu de personnes qui établissent un testament, et quasiment aucune qui pensent à cette partie de leur patrimoine.

« Légaliser » et simplifier le testament numérique

Au vu des nombreux bénéfices de la dématérialisation il convient aussi de permettre de rédiger aisément un testament valide par moyen numérique, voire en comparution à distance, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles. Dans le cas du testament rédigé sans présence d’un officier public, à ce jour le testament doit être manuscrit, daté et signé. Il faudrait donc s’affranchir du caractère manuscrit (au sens historique), tout en assurant l’identité du rédacteur et qu’il exprime bien sa volonté personnelle.

Comme pour tous les autres corps de métier, la numérisation est l’occasion de revoir les spécifications réelles d’un métier et de simplifier ses procédures obsolètes. La revue des textes légaux concernant le testament authentique permettrait donc aussi de les simplifier : suppression de l’obligation de témoins ou de second notaire, etc.

Cette simplification inciterait aussi les citoyens à rédiger un testament, limitant ainsi le nombre de cas de successions complexes ou chronophages, de conflits familiaux ou de procès.

Généraliser la gestion contractuelle numérique sécurisée

Il est grand temps de généraliser et sécuriser l’usage des Cartes Nationales d’Identité Électroniques (CNIe) et de la signature numérique. En particulier afin de pouvoir gérer numériquement entre ayant-droits des certificats de signature qualifiée ou des actes certifiés conformes, sans avoir à transmettre de documents personnels à des tiers.

Le Code Civil doit par ailleurs reconnaitre et expliciter la validité des smart contracts, en les qualifiant juridiquement. Expliciter la règle applicable sécurise les parties et donne au juge des moyens de contrôle.

Tout ceci pour maximiser le nombre d’Actes Authentiques réalisables en comparution à distance. De fait, si l’on considère que les derniers outils technologiques permettent de garantir l’identité des personnes et que leur consentement à distance est réel, libre et éclairé́, alors le notaire peut réaliser tout acte à distance.

Plus généralement, le Code Civil et l’ensemble de l’arsenal des textes législatifs, doivent intégrer cette notion de distanciel. Ceci afin de permettre, outre la rédaction, la validation et l’enregistrement à distance de ces Actes Authentiques.

Si les pouvoirs publics suivent ces recommandations et légifèrent rapidement, alors la fonction notariale non seulement contrôlera sa propre transition numérique, mais apportera un réel accélérateur à celle des citoyens, administrations et entreprise. Ce qui devrait nous autoriser et nous inciter en retour à produire des outils toujours plus performants pour assurer la protection de nos biens et données, et surtout celle de nos proches…