Une voiture diesel ou essence émet entre 1,5 et 3 tonnes de gaz carbonique chaque année. Cela participe aux 1,7 milliards de tonnes équivalent carbone émis chaque année par les véhicules au niveau mondial. Dans la lutte contre le réchauffement climatique la course aux voitures plus « propres » est donc lancée. Deux grandes technologies sont actuellement développées : l’électrique et l’hydrogène. Sans compter les différentes options « hybrides » imaginables.

Comparer les deux options s’avère complexe pour deux raisons. D’une part, les énormes enjeux économiques, politiques et environnementaux poussent les partisans de chaque solution à redoubler leurs actions de lobbying et leurs études plus ou moins scientifiques. D’autre part, l’électrique bénéficie d’une décennie d’avance, ce qui lui confère économiquement de nombreux avantages.

Le « time to market » de l’électrique

Lancée à grande échelle, la technologie électrique bénéficie du cercle vertueux lié à la part de marché dominante : coûts de production réduits du fait des grandes séries, nombre d’experts du domaine, attraction des capitaux de recherche et aides d’état (dont les primes à la reconversion, nombre de points de recharge déjà déployés, etc).

Cet avantage ne va d’ailleurs qu’augmenter à court et moyen terme, car nous achèterons très préférentiellement de l’électrique. D’autant plus, nous sommes poussés à remplacer rapidement le parc, avant même que les voitures à hydrogène ne puissent devenir potentiellement compétitives. Et une fois notre nouvelle voiture électrique achetée, nous allons la garder longtemps.

Mettons donc de côté cet effet temporel qui va permettre, d’un point de vue commercial, à l’électrique, de rester en tête pendant quelques années pour s’intéresser aux différences de fond des deux technologies.

La voiture à hydrogène

Rappelons pourquoi l’idée de développer des véhicules à hydrogène est tentante. D’une part, même s’il ne l’est pas sous forme naturelle, l’hydrogène est l’élément le plus présent sur terre. D’autre part, un kilo d’hydrogène renferme 236 fois plus d’énergie qu’un kilo de batterie au lithium.

Techniquement, une voiture dotée d’un moteur à hydrogène peut être vue comme une hybride, : entre une voiture conventionnelle possédant un réservoir et une voiture électrique, puisque l’énergie produite et consommée par le moteur est électrique. Bien que, s’appuyant sur une pile à combustible (on parle de Fuel Cell Electric Vehicle), il n’y a pas de combustion au sens classique, comme c’est le cas par exemple pour les véhicules carburant au GPL. La pile à combustible génère chimiquement de l’électricité à partir de l’air ambiant et de l’hydrogène contenu dans le réservoir. Elle sépare les protons et électrons formant les atomes d’hydrogène pour donner respectivement de l’eau et du courant électrique. Ce courant est envoyé au moteur ou vers une batterie traditionnelle qui pourra fournir un surplus de puissance lors des accélérations et récupérer l’énergie au freinage.

Avantages et inconvénients vus du conducteur

Si l’autonomie, le prix intrinsèque au kilomètre et d’autres facteurs vont naturellement évoluer avec les innovations, on peut cependant retenir quelques différences qui resteront significatives, au moins un certain temps.

Avantage à l’électrique en ce qui concerne le prix du kilomètre qui est nettement inférieur, et le restera tant que le coût de production de l’hydrogène sera élevé par rapport à la recharge électrique sur le réseau public. Autre point positif, la voiture électrique peut être rechargée chez soi, alors que l’hydrogène nécessite d’aller en station-service. En revanche, si l’on se doit de citer le risque lié aux fuites d’hydrogène, les progrès réalisés sur les réservoirs n’en font plus un avantage significatif.

De son côté, la voiture à hydrogène apporte un temps de rechargement très intéressant : moins de cinq minutes, à l’instar des véhicules conventionnels pour un « plein » d’environ 400 km, contre plusieurs heures pour le même résultat en électrique. La voiture électrique a aussi pour autre inconvénient d’être plus lourde, du fait du poids des batteries, ce qui impacte la tenue de route et la distance de freinage. Cela entraîne par ailleurs une consommation plus importante, en particulier dans les usages mixtes citadins/longue distance et surtout une autonomie en kilomètres parcourus avec un « plein » nettement inférieure, même si cela pourra évoluer.

L’impact environnemental

D’un point de vue environnemental, si elles sont clairement meilleures que l’usage des énergies fossiles et offrent le bénéfice d’être « propres » lors de la conduite, les deux technologies ont un impact certain. Il faut en effet considérer le cycle énergétique complet et en particulier les phases d’extraction, production et traitement des déchets associés.

La solution électrique repose sur l’extraction et la production de cobalt et lithium. Or, les mines de cobalt et lithium sont essentiellement à ciel ouvert et très polluantes. Pour le cobalt, l’environnement politique du Congo, qui possède la majorité des réserves mondiales, est peu propice aux préoccupations environnementales. Pour le lithium, l’impact écologique frappe la Cordillère des Andes entre Argentine, Bolivie et Chili. D’autre part la gestion de la fin de vie des batteries et du recyclage des déchets pose un réel souci.

Côté hydrogène, l’extraction du platine et du ruthénium, nécessaires aux piles à combustible, peut être considérée un peu moins polluante, même si elle le reste nettement. Cela étant, avec les technologies d’aujourd’hui, le principal souci reste lié à la quantité d’énergie perdue lors de la production de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, puis lors de sa compression, de son transport et de sa retransformation en électricité dans la voiture. En conséquence de ces pertes, l’efficacité énergétique de la solution hydrogène est à ce jour nettement plus faible. Tout compris, l’énergie finalement utilisée pour propulser la voiture à hydrogène est une part plus faible de l’énergie consommée que dans le cas de la voiture électrique.

Ce dernier point pourrait ne plus être un souci si à terme l’hydrogène est produit uniquement à partir d’eau et d’énergie renouvelable. Mais à ce jour, pour des raisons économiques, il l’est à partir du gaz naturel. Ce qui génère monoxyde et dioxyde de carbone et participe au réchauffement climatique, sans compter les problèmes liés aux fuites de méthane et à l’extraction du gaz par fractionnement.

Enfin, si le stockage amont de l’hydrogène peut potentiellement donner lieu à des accidents industriels graves, il offre l’avantage de pouvoir lisser la production électrique globale, permettant de stocker l’énergie produite de manière variable par les solutions renouvelables : solaire, éolien, barrages… L’hydrogène offre donc une réelle possibilité à terme de faire décroire nettement les émissions de gaz à effet de serre.

La voiture à hydrogène a-t-elle encore une chance ?

À ce jour, le parc roulant de véhicules à hydrogène n’a pas le volume nécessaire pour assurer une comparaison fiable. Indépendamment des avantages techniques de l’hydrogène, la décennie d’avance commerciale de l’électrique lui assure une place de choix pendant quelques années. Cependant, l’innovation de rupture est toujours possible, surtout si elle est accompagnée par des aides gouvernementales. Le prix du kilomètre hydrogène va baisser et le développement des piles à combustible à membrane d’échange de protons devrait assurer une meilleure efficacité énergétique.

De son côté l’électrique devrait bénéficier du progrès des batteries et pourrait lever le verrou lié au temps de chargement en développant un service rapide, voir automatisé, d’échange de batterie en station-service ou à domicile. Mais cela nécessiterait une standardisation des batteries qui semble encore lointaine.

Si les impératifs climatiques nous poussent à remplacer le gaz par l’hydrogène dans l’industrie, le chauffage domestique ou les transports collectifs, la bataille pour la voiture est peut-être déjà perdue pour longtemps.