… et on ne parle pas que de rajeunissement du parc nucléaire au sens classique.

 

Le 12 octobre dernier, le président français a annoncé, dans le cadre du plan de 30 milliards d’euros pour l’industrie et les technologies, l’objectif de faire émerger en France d’ici 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille innovants. Si plus généralement le sujet du nucléaire s’invite dans la campagne présidentielle c’est que de nombreux événements récents poussent les ingénieurs de la filière à redoubler d’efforts pour trouver des solutions d’ingénierie toujours plus innovantes.

Un contexte complexe, mais favorable

Le nucléaire présente toujours les quatre mêmes écueils principaux : les risques d’accident, le traitement des déchets, le décommissionnement des anciennes centrales et les coûts de développement des nouvelles générations de réacteurs. Or, sur ces quatre points, on peut noter que les derniers mois ont été plutôt rassurants.

L’incident de l’EPR de Taishan en juillet 2021, s’il n’a pu être évité, semble avoir été géré avec un très bon niveau de sureté. L’incident a en particulier permis de vérifier que, pour un réacteur encore jeune dont la mise en service date de fin 2018, les procédures de vérification, d’alarme, d’investigation et de gestion internationale étaient au point.

Côté traitement des déchets, la filière française garantit le retraitement des déchets nucléaires, au besoin plusieurs fois, et l’enfouissement profond. Comme la gestion des déchets s’applique à tout le programme nucléaire, il s’agit sans doute de l’un des secteurs d’activité où le contrôle et la réduction de l’impact environnemental des déchets – nucléaires ou non – sont le plus efficaces. Les premières autorisations obtenues pour les sites d’enfouissement profond assurent que ce processus est viable. Surtout si l’on considère que l’énergie consommée annuellement par un foyer produit finalement mois d’un gramme de déchets retraités à enterrer.

Après avoir été longtemps attendu, le décommissionnement progressif de la centrale de Fessenheim marque le début d’un processus industrialisable et sécuritaire de décommissionnement du parc obsolète. L’expérience acquise en ce moment même à Fessenheim rend désormais planifiable avec sérénité la fin de cycle de vie des autres anciens réacteurs.

Enfin, après avoir vécu de nombreux dépassements de budget, liés essentiellement à des contraintes de sécurité constamment revues à la hausse, le premier réacteur EPR de Flamanville semble voir le bout du tunnel avec une mise en production prévue dans moins de deux ans. Suivi, sous réserve d’accord politique, de 6 autres réacteurs EPR déjà planifiés en France.

Cette capacité à gérer ces écueils s’explique car la haute technologie nucléaire, si elle reste toujours aussi complexe que dans les décennies précédentes, bénéficie désormais de l’expérience de plus de 2.000 ans de fonctionnement cumulé des différents réacteurs.

Augmentation de la demande et coût de l’énergie

Plus que ce contexte rassurant, ce qui motive actuellement les spécialistes de l’ingénierie nucléaire, c’est la conjonction de l’augmentation de la demande énergétique et de l’augmentation des coûts des énergies fossiles.

Certes, les différents prix nationaux de l’électricité dépendent en grande partie de moyennes européennes prenant toujours en compte une forte proportion d’origine gaz ou pétrole. Mais la part prépondérante en France de l’énergie nucléaire a permis d’amortir nettement les hausses récentes par rapport à nos voisins. Ceci nous rappelle que le coût du nucléaire, s’il est très lourd en investissement initial, ne peut être évalué qu’au regard de l’évolution des coûts et moyens de production des alternatives.

Si l’objectif idéal serait une production énergétique mondiale entièrement à base d’énergies vertes et renouvelables, il est fort probable que, s’il est un jour réalisable, ce ne sera pas avant très longtemps. En particulier parce qu’à ce jour, notre demande en énergie croît plus vite que notre capacité à créer des centrales vertes, reculant d’autant le point à atteindre.

Dans l’attente, et même en tenant compte des surcoûts liés aux lourdes exigences de sécurité, le nucléaire demeure donc une alternative économiquement intéressante.

Réchauffement climatique, indépendance énergétique et bassins d’emploi

Que l’on soit « pour » ou « contre » le nucléaire, il faut reconnaître que la filière nucléaire civile repose sur plusieurs autres arguments structurants pouvant lui garantir un bel avenir.

Si le débat écologique mérite notre attention, il convient toutefois de rappeler que cette énergie est à très faible émission de CO2 en comparaison aux énergies fossiles, d’où un impact nettement moindre sur le climat. De fait, de manière assez inattendue, l’urgence climatique a partiellement modifié la perception « écologique » de la filière.

Tout aussi important est l’argument de notre dépendance énergétique. La crise sanitaire a mis en avant à quel point la dépendance d’une production nationale à des fournisseurs étrangers pouvait être risquée si les capacités de production, capacités de transport ou priorités des fournisseurs étaient fortement modifiées. Or l’électricité est une denrée nécessaire dans la quasi-totalité de nos productions. A fortiori par exemple si nos véhicules ou chauffages se mettent à l’électrique.

Il faut cependant modérer un peu cet argument : l’uranium est essentiellement extrait à l’étranger, et à plus de 40% au Kazakhstan, donc cela reste une dépendance forte. Mais les autres pays producteurs importants (Canada, Australie, Namibie, Niger, Russie, Ouzbékistan et Chine) sont répartis dans les cinq continents, ce qui réduit certains risques.

En tout état de cause, contrairement aux énergies fossiles récemment, la probabilité d’un doublement très rapide du coût de l’énergie nucléaire est estimée faible.

Enfin la filière est génératrice d’emplois qualifiés, y compris d’emplois techniques spécialisés souvent en sous-effectif (soudeurs, mécaniciens, électriciens, ingénieurs…). Le GIFEN, unique syndicat professionnel de la filière nucléaire française, regroupe ainsi 200 entreprises, dont Catep, filiale du Groupe Astek, et supervise un domaine regroupant plus de 220.000 salariés.

Enfin, le décommissionnement des anciennes centrales est une activité en soi qui génère de nombreux emplois qualifiés. On estime en particulier que près d’un quart de la capacité nucléaire mondiale devrait être arrêtée d’ici 2025, et notre savoir-faire en la matière pourrait facilement s’exporter.

Haute technologie et réacteurs de petite taille

L’un des objectifs du plan gouvernemental est de concevoir des réacteurs de petite taille, c’est-à-dire d’une puissance inférieure à 300 MW. A titre de comparaison, la plupart des réacteurs actuellement en service produisent entre 1000 MW et 1300 MW, et jusqu’à 1600 MW pour un EPR type Flamanville.

Notons qu’il s’agit avant tout de mettre en œuvre une filière industrielle capable d’intervenir partout dans le monde. Elle s’appuierait sur les acteurs incontournables (EDF, Naval Group, Technicatome, Framatome, le CEA, …) mais aussi sur tout un ensemble de start-ups spécialisées.
Il est temps car les États-Unis, la Chine et la Russie ont pris une longueur d’avance dans la mise au point des SMR (« small modular reactors »), et le marché s’annonce très prometteur.

Le premier défi des ingénieurs français sera de réaliser une « usine à SMR » de manière à en industrialiser la réalisation. En effet, les coûts de recherche et d’investissement très élevés liés aux exigences de sécurité ne pourront être assumés que si le coût marginal de production est faible. En gros, le SMR se doit d’avoir de très fortes économies d’échelle.

Le second défi sera de faire de la qualité tout en allant assez vite. On n’en est en effet qu’aux études et il faut rattraper le retard et éviter les délais qui ont pu marquer le programme EPR. Là, c’est l’expérience acquise sur les réacteurs de 3ème génération et la coordination des acteurs qui seront primordiaux, face en particulier à la capacité de production chinoise. Mais le pilotage précis d’un tel programme sera un challenge.

Notons que le but n’est pas de multiplier ces petits réacteurs en France, où le parc EPR prévu devrait être suffisant pendant un certain temps. L’idée est d’en mettre en production un ou deux faisant office de démonstrateurs et d’installer les suivants à l’étranger, typiquement en remplacement de centrales au charbon ou au fuel.

Et les réacteurs de quatrième génération ?

L’étape suivante, dite de 4ème génération, n’en est encore qu’au stade de la recherche et les mises en service n’arriveront pas avant 2030 au mieux. Mais les travaux avancent. En avril dernier, on a ainsi fêté les 20 ans (déjà) du Generation IV International Forum, initiative de coopération internationale du gouvernement américain.

Parmi les technologies envisagées, les réacteurs à neutrons rapides refroidis par caloporteurs au sodium (RNR-Na), sont aux cœurs de divers programmes au CEA et ailleurs. Outre la maitrise d’une nouvelle technologie neutronique, les enjeux sur lesquels la filière se concentre sont :

  • Comment tirer le meilleur parti de ce que l’on a appris précédemment pour en optimiser l’usage potentiel ?
  • Comment limiter les coûts et quelle est la réalité du modèle économique et des réserves de combustible ?
  • Comment améliorer l’efficacité énergétique (en particulier en récupérant la chaleur perdue) ?
  • Comment optimiser la gestion du cycle complet (jusqu’aux déchets et au décommissionnement) ?
  • Comment améliorer encore la sûreté nucléaire ?

Notons que les travaux sur la 4ème génération vont même plus loin, cherchant par exemple à optimiser par exemple les stocks de plutonium militaire disponibles suite aux accords de désarmement atomique.

Les ingénieurs envisagent même de créer des centrales spécialisées qui s’affranchiraient de la production d’électricité intermédiaire pour produire directement des ressources vitales et attendues, telles que l’eau potable par dessalinisation ou l’hydrogène pour son emploi par exemple par les véhicules.

Le nucléaire se sent donc rajeunir et rappelle les ingénieurs à la table à dessin, pour adresser des questions difficiles et passionnantes faisant appel à des compétences très variées.

CATEP Ingénierie

CATEP Ingénierie conduit depuis plus de 20 ans des activités de conseil et d’ingénierie auprès d’acteurs du Nucléaire. Catep est membre du pôle Nuclear Valley et du Groupement des Industriels Français de l’Énergie Nucléaire (GIFEN) et soutient activement la filière Nucléaire française.