Quand, il y a quelques mois, on interrogeait les experts financiers ou technologiques, tous s’accordaient à dire que la blockchain s’inscrirait dans la durée. Ses bénéfices en termes de sécurité, pérennité, traçabilité et rapidité des transactions sont avérés. Quand on leur demandait dans quels domaines cette technologie de sécurisation des échanges allait se développer, ils citaient essentiellement :

  • Bien entendu la banque et les cryptomonnaies.
  • Les objets connectés avec comme conséquence l’automatisation des « smart contracts ».
  • Les données personnelles, et en particulier médicales, ainsi que par extension les processus de vote, la protection des serveurs Web et le marketing digital.
  • La traçabilité des produits.
  • Et enfin les registres de propriété sous une forme ou une autre.

Cependant, ce dernier point était souvent oublié ou passé sous silence. Certes, certains se rappelaient qu’avant tout, la Blockchain est un « ledger », donc un outil de registre. Mais la vision d’un outil de type notarial semblait offrir bien moins de perspectives économiques séduisantes à court terme. C’est pourtant bien dans la preuve de propriété que l’on retrouve l’importance d’avoir une technologie de confiance numérique incorruptible et avec des coûts raisonnables.

Puis vint le chat, ou la 9ème vie de la Blockchain

Dans le monde 2.0, où le Net peut faire prendre une ampleur impressionnante à un sujet qui au départ pouvait sembler réservé à des initiés, une simple image animale peut déséquilibrer les prévisions des experts. En 2013, c’était un même canin qui était à l’honneur. Mais la création du Dogecoin, qui n’est jamais qu’une autre cryptomonnaie, restait un usage attendu de la Blockchain.

En 2021, du fait des montants en jeu, la presse s’est largement faite l’écho de la vente en ligne pour 300 Ether (l’équivalent de 587k$ à cette date) du gif Nyan Cat ou celle, pour 2,9M$, d’un tweet de Jack Dorsey. Un chat prend donc sa revanche, mais cette fois l’impact est différent. Ces ventes concrétisent la réalité économique des « jetons non fongibles ».

Jeton non fongible

Vu de haut, un jeton non fongible (NFT), ce n’est ni plus ni moins qu’un titre de propriété numérique pour un contenu numérique. Ce qui rend ce titre de propriété particulier c’est que, étant numérique, à la fois le contenu et son titre de propriété peuvent être conservés et sécurisés par la Blockchain. Or en matière de contenu numérique, la copie et le piratage sont extrêmement aisés et difficilement évitables ou combatables. La blockchain permet aussi des offres de type replay, streaming et autres, d’où des révolutions dans les trois dernières décennies dans la production musicale, cinématographique, des jeux vidéo ou encore des médias. Sans compter la production personnelle de chacun si l’on considère que tout ce que l’on « poste » sur le Net peut être considéré comme une œuvre, dont on possède une certaine propriété intellectuelle.

Au vu du périmètre concerné, il devient évident que la valeur économique court terme de l’apport de la blockchain dans la gestion des registres de propriété dépasse largement la vision « cadastrale ». Ceci d’autant plus que les NFT peuvent s’acheter et se vendre instantanément en cryptomonnaie. La fluidité d’un tel marché est en conséquence très forte. De fait, la plupart des transactions de NFT sont aujourd’hui réalisées en ethereums.

La revanche de l’artiste

Le NFT a permis l’émergence de places de marché pour la vente par les « artistes » de leurs « œuvres digitales ». Le tout est sécurisé par un « smart contract » entre l’auteur, la plateforme digitale et l’acheteur.

Transformer son œuvre numérique en NFT permet en outre de simplifier le traitement des droits d’auteur, puisque la propriété exacte de l’œuvre à un instant donné est clairement définie. Pour estimer le périmètre impacté, il faut penser à la notion de contenu numérique au sens large. Un auteur de roman pourrait ainsi saisir son œuvre sous format numérique, en faire un NFT, avant d’en faire une publication sous format papier. Et utiliser la propriété du NFT comme preuve de propriété des droits sur les exemplaires imprimés. Si le NFT ne peut empêcher la contrefaçon, c’est pour le moins une arme en faveur des artistes face aux pirates. On comprend dès lors que le terrain de jeu de la blockchain est très vaste et les impacts économiques volumineux.

Mais il n’y a pas qu’une blockchain

Avant que le Louvre ne crée le NFT de la Joconde, il reste cependant une question liée à la technologie actuelle. Il existe aujourd’hui plusieurs blockchains publiques qui sont largement répandues. Or, si chacune peut garantir qu’elle héberge de manière unique l’original numérique d’une œuvre, et connaître avec certitude son propriétaire, rien n’empêche techniquement deux blockchains différentes d’héberger le « même » NFT. Il est donc du ressort de l’artiste, dans le cas d’une nouvelle œuvre, ou du propriétaire de ne créer qu’une fois le NFT.

Sauf à ce que le monde artistique adopte une blockchain unique. A ce jour la grande majorité des NFT existants sont sur la blockchain ethereum. On voit en quoi une telle idée peut impacter l’avenir de la technologie et des acteurs concernés.

Et c’est en quoi le chat de 2021 peut avoir un réel impact sur le développement technologique. Tant que les blockchains avaient comme usage premier les cryptomonnaies, rien n’empêchait d’en avoir plusieurs. La multitude des devises avait même au contraire un intérêt financier. Mais si la technologie blockchain se réapproprie son usage naturel de registre partagé, alors le bon sens naturel voudrait qu’il soit unique.

On peut certes attendre que les lois du marché réduisent l’offre blockchain à un acteur dominant, comme c’est très souvent le cas dans les nouvelles technologies numériques, arguant qu’il y a là une logique vertueuse poussant à la victoire de la meilleure solution innovante. Mais dans l’intervalle, comment gérer plusieurs cadastres s’ils se contredisent ?

La valeur de la confiance

 

Les NFT ne répondent donc pas à toutes les questions de droit de propriété. Mais leur arrivée sur le devant de la scène prouve que la promesse de la blockchain d’offrir un tiers de confiance inattaquable à une énorme valeur économique est encore loin d’être totalement imaginée.

Dans le même temps, et de manière plus discrète, la blockchain progresse dans d’autres domaines où la confiance est vitale, et qui vont sans doute nous impacter encore plus. Amazon, Apple, Google, et la Connectivity Standards Alliance viennent d’annoncer que le projet Matter (anciennement CHIP) de garantie d’interopérabilité entre objets connectés domestiques allait diffuser sa norme de compatibilité. La blockchain servant à garantir la connaissance précise de tous les objets espions nous entourant, avec pour conséquence pour les ingénieurs de devoir développer rapidement une version de la blockchain entièrement sécurisée mais économe en énergie.

Les entreprises, sites de commerce et industries qui se renforcent aujourd’hui dans des compétences en blockchain font donc sans doute un investissement de long terme dont le retour dépassera largement les premiers projets envisagés.

Mais il serait illusoire de prédire ici si cela sera un lapin ou un dauphin qui en sera la preuve. En conséquence, le présent article n’a pas fait l’objet d’un NFT.