Si la santé bénéficie actuellement des synergies cumulées de la transformation numérique (dossier patient numérisé…), de la miniaturisation, des objets connectés, de la robotisation, de l’imagerie médicale ou de l’intelligence artificielle, cette dernière génère des questions spécifiques chez les patients et soignants.
Comme le résumait Cédric Villani en 2018, le développement de l’intelligence artificielle stimule en effet une innovation rapide dans le domaine de la santé, à la fois thérapeutique et pharmacologique.
Boostée par les capacités de collecte, d’organisation, de partage dans le Cloud et d’analyse des données liées au Big Data, l’IA est effectivement de plus en plus utilisée et offre des perspectives très prometteuses dans la création de traitements, l’analyse de maladies ou encore le développement de la qualité des soins déployés pour les patients.
Quelques exemples :
La médecine prédictive
Parmi les nombreuses maladies susceptibles de tirer le meilleur parti de ces évolutions dans la prédiction, l’autisme est un exemple significatif. En effet, il est aujourd’hui très difficile de repérer les signes précoces de l’autisme qui ne se développent généralement pas avant la deuxième année de l’enfant.
Des outils de dépistage prédictif existent désormais. Il peut s’agir d’un « simple » chatbot qui, en interrogeant les parents (ou même l’enfant) et en analysant les réponses, peut non seulement apporter une aide complète à la détection en vue d’un diagnostic médical, mais aussi une aide dans l’adaptation des interactions de l’enfant.
La médecine de précision
Le rôle de l’IA est donc majoritairement d’assister les médecins dans l’apport d’un diagnostic fiable et centré sur les symptômes développés chez un patient en particulier, permettant d’attribuer un traitement qui connaîtra des chances de succès plus importantes.
La recherche médicamenteuse
Le Cloud offre d’ailleurs le double bénéfice de permettre à toute personne (ayant les droits suffisants) non seulement d’accéder aux résultats de ces prédictions, analyses et recommandations IA, mais aussi de l’alimenter de ses propres informations.
Ainsi, ce sont les pathologies les plus courantes, et en particulier celles qui imposent un suivi ou traitement régulier à cadencement rapide qui génèrent le plus de données et donc sont le plus à même de bénéficier rapidement d’un traitement par Intelligence Artificielle.
C’est le cas dans la détermination et l’optimisation de traitements contre le diabète et de cancers comme le cancer du sein, des poumons, colorectal ou la leucémie. Ces pathologies sont malheureusement courantes et génèrent des volumes de données suffisamment importants pour assurer que l’aide apportée par l’IA soit fiable et contrôlable.
L’aide à la décision
Suite à cette détection, l’IA peut aussi proposer le ou les diagnostics les plus plausibles, là où un médecin pourrait ne pas les avoir en tête. Après tout, le caractère « humain » de notre médecin traditionnel est à la fois une de ses plus grandes forces et faiblesses : sa mémoire, sa capacité d’analyse et sa résistance à la fatigue ou aux perturbations externes sont plus limitées que celles d’une IA.
L’un des exemples les plus révélateurs, en cette période d’Octobre Rose, est l’utilisation d’IA dans l’aide à la décision concernant le cancer du sein. L’une des difficultés propre à cette pathologie est le nombre non négligeable de faux-positifs générés, en particulier par les autopalpations mais aussi lors de détections plus poussées. En sus du stress psychique issu d’un faux-positif au niveau individuel, ce niveau de non-fiabilité des données individuelles dans la base globale rend la définition de traitements adaptés plus difficile.
Des IA sont donc développées pour retravailler et analyser précisément les clichés d’imagerie médicale des patients, afin de repérer de manière précoce les zones à risque de tumeur. Ayant une vision plus fine que l’être humain, l’IA peut cibler plus facilement ces zones et, bénéficiant d’une base de comparaison immédiate nettement plus large (et plus fiable si l’on considère la mémoire humaine), lever plus aisément les doutes. Une fois les éventuelles métastases dans les ganglions lymphatiques détectées, l’IA analyse celles susceptibles d’évoluer en cancer du sein et fournit son aide au diagnostic.
La médecine de prévention
Deux axes sont à différentier :
- Les analyses préventives s’appuyant sur des données directes ou statistiques dont l’origine peut être considérée comme fiable : rapport de personnes compétentes, photographies aériennes de l’évolution de la propagation d’une maladie d’origine végétale ou animale (suivi des populations de moustiques…), etc.
- Les analyses préventives s’appuyant sur ce que l’on pourrait considérer des « signaux faibles », comme l’analyse des échanges sur réseaux sociaux en période de crise. Il y a là possibilité d’avoir une vision bien plus large, parfois plus anticipée, mais où la fiabilité de la donnée d’origine porte à caution (comme la Covid l’a rappelé, chacun peut se prétendre expert ou céder à la panique et annoncer la fin du monde).
Dans les deux cas, il serait dommageable de se priver de la capacité qu’une IA pertinente a d’anticiper, d’évaluer les risques et d’avertir le cas échéant les autorités compétentes en mettant en avant un niveau de risque adéquat.
Cette capacité d’anticiper et suivre n’est pas limitée au processus d’alerte, elle va jusqu’à permettre la création des vaccins. Des chercheurs australiens ont ainsi utilisé une IA pour développer avec succès un vaccin contre la grippe.
La particularité de la grippe est que le virus évolue chaque année, rendant impossible la création d’un vaccin pérenne à l’aide de la médecine classique, et imposant le design et la production d’un nouveau vaccin chaque année.
L’IA a permis d’une part d’analyser les évolutions précédentes de la grippe et de prédire les rythmes d’évolution du virus afin d’adapter le vaccin, et d’autre part de comparer rapidement et précisément l’efficacité des médicaments et molécules contre les nouvelles souches. En permettant de lancer plus tôt la production et la distribution du vaccin, on assure d’avoir les quantités nécessaires au moment où il convient d’isoler les foyers viraux.
Les conséquences pour le médecin et le patient
- Protection des informations personnelles sensibles : allons-nous donner l’autorisation aux IA de tout savoir sur nous dans le but d’améliorer leurs bases et leurs analyses ? Même si nous en serions les premiers gagnants, l’équilibre bénéfice-risque n’est pas le même pour tous et le ressenti en ce domaine est différent pour chacun d’entre nous.
- Déshumanisation de la relation client-patient : va-t-on se confier à une IA autant qu’à un médecin ? Aura-t-on l’impression d’être compris (un médecin humain peut expliquer qu’il comprend ou partage une souffrance… Cela sonne faux venant d’une machine) ? À quel moment du diagnostic l’information doit-elle être donnée par un être humain ?
- Risques liés à l’autodiagnostic ou à l’automédication, y compris les risques psychiques (anxiété face à un résultat non expliqué, hypochondrie…). Entre blogs « santé » plus ou moins sérieux et fiables et sites plus officiels, chacun a désormais accès à des sources de données extrêmement diverses et devient de fait acteur de sa propre santé.
- Obligation de se former à l’utilisation des nouvelles technologies et à se maintenir à jour, car comme tout outil ou traitement, mal utilisée, l’IA peu mener à de mauvais diagnostics ou traitements.
- Évolution et réorganisation de l’activité des professionnels de santé : modification des actes de chirurgie où une partie est désormais réalisée par des robots dotés d’IA, création de nouveaux domaines de spécialités…
- Impact sur le coût de la santé (global et personnel).
De toutes ces questions, celles relatives à l’éthique risquent de rester longtemps sans réponses claires. L’IA étant en passe de devenir une part importante de l’ensemble du domaine de la santé, on peut estimer que – comme pour tout ce qui est relatif à ce domaine – une régulation précise devra se mettre en place. Elle devra répondre, au moins partiellement à des questions telles que :
- Jusqu’où une IA peut-elle remplacer le médecin ? Peut-elle fournir un diagnostic final ? Prescrire un traitement ? Autoriser une activité sportive ? Faire un acte de chirurgie ?…
- L’usage de l’IA doit-il être réduit à des personnes formées ? Y aura-t-il un délit de pratique illégale de l’IA pour contrecarrer le risque de déferlement de sites de soi-disant experts vous proposant l’autodiagnostic à prix réduit à partir de bases de données ou d’algorithmes d’origines douteuses ?
- L’IA certes peut nous approcher très fortement de la vérité médicale, mais dès lors la question historique « toute vérité médicale est-elle bonne à dire / connaitre » n’en sera que plus critique. Comment réagit-on quand on apprend que l’on va mourir ?
- Une connaissance plus précise des risques médicaux (en particulier des chances de survie ou de contagion) de chacun ne va-t-elle pas alimenter des décisions potentiellement extrêmement critiquables (choix du patient à soigner en priorité, eugénisme, soins palliatifs, maintien en vie des patients sous comas ou en état de mort cérébrale, euthanasie, accès aux prêts et assurances, accès à l’emploi…) ? Comment assurer un impact positif de l’IA sur ces sujets hautement sensibles ?
En particulier car les choix éthiques sont souvent avant tout des choix culturels, voire contextuels. A la question « faut-il sauver la femme ou l’enfant ? » les différentes civilisations ont souvent apporté des réponses différentes, qui ont même évolué au cours du temps (de manière peu étonnante, rappelons que c’est cette même question qui donne des inquiétudes aux assureurs en matière de véhicule autonome). Par son caractère international, le Cloud va mélanger les données d’individus ne partageant pas les mêmes cultures et qui n’ont pas forcément les mêmes réponses aux questions éthiques de l’IA. Risque-t-on une dérive de l’éthique IA, et donc de l’éthique de la santé, vers la médecine nord-américaine, indienne ou chinoise ?