À lire la profusion des articles annonçant le « redécollage » du secteur aéronautique depuis la mi-2021, on aurait pu se dire à l’occasion de nos bons vœux 2022 que l’épisode des avions cloués au sol liés à la pandémie et l’impact économique associé étaient derrière nous. Il n’en reste pas moins que de nombreux facteurs peuvent encore influencer l’altitude que nous aurons atteinte en fin d’année. Voici donc un rapide écho radar de quelques idées éparses à garder en tête avant de tirer sur le manche.

Il n’est jamais anodin de faire voler des avions à vide

Début 2022, certaines compagnies aériennes, et pas des moindres, font voler des avions à vide pour ne pas perdre leurs créneaux aux portes. Indépendamment des questions naturelles que cela soulève en matière de réglementation, de dépense énergétique et de bilan environnemental, c’est avant tout un indicateur fort qu’on est bien loin d’un retour à la normale.

Ce ne sont pas les vols les plus profitables qui se rempliront en premier

En mai 2021, l’International Air Transport Association (IATA) estimait que la charge passager atteindrait 88% en 2022. Puis omicron est passé par là et les analystes imaginent plutôt un résultat à 75% fin 2022. Certes, c’est nettement mieux qu’en 2020-2021, mais ce taux n’avait jamais été aussi bas depuis 1994.

Ce sont essentiellement les vols domestiques ou low-cost qui vont reprendre une activité soutenue. Pour la demande internationale, on ne devrait pas dépasser 44% de ce qu’elle était en 2019 ; on est encore loin d’un retour à la normale.

De même, on peut imaginer que la clientèle business sera plus lente à revenir à l’aéroport. D’une part, les entreprises ont appris à télétravailler et peuvent être tentées de continuer à limiter les déplacements afin de récupérer une partie des surcoûts dus à la pandémie, tout en revendiquant un bénéfice environnemental à mettre au crédit de leur Responsabilité Sociétale d’Entreprise. D’autre part, les vols business sont souvent bookés très peu de temps avant le décollage et dès lors se compliquent lourdement du fait des protocoles demandant des test préalables ou des périodes d’isolement, en particulier à l’international.

Toutes les destinations ne se vaudront pas

L’impact pandémique est très différent d’une zone à une autre. Les États-Unis devraient bien s’en sortir car, même avec un taux de vaccination non idéal pouvant impacter l’international, la forte volumétrie du trafic domestique devrait leur assurer un rebond assez rapide.

Un peu moins bien lotie, l’Europe devrait cependant aussi assurer une remontée vers des cieux meilleurs du fait d’un bon taux de vaccination et de la mise en place de l’European Digital Covid Certificate, passeport sanitaire simplifiant nettement les déplacements intra-européens.

L’Asie en revanche pourrait peiner à redémarrer, en particulier du fait du faible taux de vaccination.

En période d’incertitude, tout peut être objet de craintes

Cela peut paraitre anecdotique ou digne de théories complotistes douteuses, mais les périodes d’instabilité tendent à faire ressurgir les dossiers incertains, comme celui de l’impact potentiel de la 5G sur la C-band utilisée par les compagnies aériennes. Ces sujets, qu’ils s’avèrent ou non réellement critiques, seront en tout cas chronophages au moment où les acteurs souhaiteraient remettre les gaz.

Pendant ce temps, le sablier du zéro-émission s’écoule toujours

Si, en 2019, les compagnies aériennes rappelaient que l’aviation commerciale ne représentait que 2,4% des émissions de CO2, la plupart se sont cependant engagées pour un bilan neutre en 2050. Or les deux-tiers de cet objectif passent par le développement rapide du carburant durable d’aviation (SAF) à base d’huile végétale aujourd’hui, mais devant rapidement basculer vers une production à base de déchets.
Ce serait parfait si ce carburant ne coutait pas à ce jour quatre fois plus cher. Si le SAF doit se généraliser dans le planning imposé pour tenir l’échéance de 2050, il faut donc s’attendre à une hausse significative des prix des billets. Ce qui réduira alors le trafic, surtout pour les compagnies low-cost, dont on se disait justement qu’elles seraient les plus rapides à redécoller. Auront-elles le temps d’ici là de refaire la trésorerie nécessaire ou faudra-t-il oublier les objectifs environnementaux ?

20220118 - L’aéronautique en 2022 II

Mais le vol est sans doute plus à moitié plein qu’à moitié vide

En effet, il n’est pas forcément nécessaire de vérifier que le gilet de sauvetage est bien sous le siège car au-dessus de la couverture nuageuse évoquée précédemment, force est de constater que le ciel semble bien dégagé en 2022.

De nombreux nouveaux acteurs se lancent

Certains analystes avancent que pas moins de 130 nouvelles compagnies start-up ont prévu de voir le jour entre la mi-2021 et la fin 2022. En particulier car la pandémie a poussé à une forte réduction des coûts opérationnels et du prix d’achat des appareils. Pas moins de 40% de ces nouvelles compagnies devraient être basées en Europe.

Les carnets de commandes des constructeurs sont loin de désemplir

De nouvelles commandes arrivent régulièrement, en particulier car les compagnies low cost se multiplient et gagnent des parts de marché. Les nouvelles compagnies s’équipent en particulier d’Airbus A320, de Boeing 737 et d’Airbus A330.

Fin 2022, Airbus devrait ainsi presque rattraper son niveau de production de 2016. Et finalement repasser au-dessus du niveau de 2019 vers 2025.

La Chine ayant approuvé les changements au programme 737 MAX, Boeing devrait relancer fortement la production pour rattraper le retard de commandes. Cependant, en particulier du fait du retard du programme 787, Boeing ne pourrait revenir au niveau de 2019 qu’après 2025, perdant de fait un peu de terrain sur son principal concurrent.

Les vols cargos bénéficient du boost de l’e-commerce

L’engorgement des ports chinois a contribué fin 2021 à une envolée sans précédent des vols cargo. Là aussi, les constructeurs bénéficient d’un afflux de commandes en particulier pour le Boeing 777F et l’Airbus A350F.

Régime minceur… ou pas

C’est un comble pour ce secteur, mais pour une fois, il semble difficile de suivre le sens du vent. On pensait que les gros porteurs avaient été contraints de sortir les aérofreins au profit de vols longue distance en avions « fins » (narrowbody), comme les Boeing 737 ou 757 ou les Airbus A321LR ou A321XLR dans lesquels le chariot de l’hôtesse se fraye difficilement un chemin entre deux rangées de 3 sièges.

Certes le narrowbody va constituer la grande majorité de nos trajets vers nos destinations de vacances sous les cocotiers, mais le Superjumbo pourrait bien profiter du redécollage généralisé pour relever le nez, plusieurs compagnies ayant récemment annoncé de nouvelles destinations pour l’A380.

eVTOL ça vous parle ?

Dans un blog consacré à l’innovation, il est tentant de se demander si cette période confuse ne va pas s’avérer une vraie chance pour les appareils électriques à décollage vertical, alias eVTOL (electric vertical take-off and landing). C’est-à-dire les drones, taxis volants et autres variantes qui pourraient bien profiter de l’escale au sol imposée au secteur en 2020 puis de la relance soutenue attendue cette année pour profiter du courant ascendant.

Car la technologie est prête et les voyageurs ayant été coupés dans leurs habitudes, un hublot d’opportunité pourrait bien s’être ouvert. D’autant plus que le déploiement de la mobilité électrique urbaine ou des livraisons par drones en période de confinement ont plutôt donné bonne presse au concept.

Restructurations financières

Enfin, la période ayant évidemment eu un impact majeur sur les finances de l’ensemble des acteurs, une fois les faillites et restructurations passées, quelle qu’en soit l’issue, la situation financière de l’ensemble des acteurs en ressortira assainie. Ce qui devrait remettre en confiance clients, fournisseurs et futurs investisseurs.