La France ayant remporté le Grand Chelem au tournoi des VI nations 2022, permettons-nous un aparté « sportif ». En cette période de préparation des JO 2024 à Paris, on peut être interpelé par un paradigme intéressant : dans l’esprit, le sport est (et devrait sans doute rester) avant tout l’humain, le physique, la capacité à aller au bout de nos forces naturelles. Et dans le même temps, on a tous l’image de la liberté retrouvée à donner des prothèses sportives aux coureurs ayant perdu l’usage de leurs membres inférieurs.

Alors, la techno dans le sport, est-ce un bienfait ou une corruption de l’idée originale ? Pour permettre à chacun de se faire une idée, petit tour d’horizon de l’ensemble du périmètre concerné.

Les nouvelles technologies envahissent le sport

Si pour une grande partie des fans de sports, qu’ils pratiquent ou préfèrent regarder, l’irruption de la technologie dans le sport a été symbolisée en particulier par l’appel à la vidéo pour appuyer une décision arbitrale dans les principaux sports collectifs, ce type d’usage ne doit pas masquer à quel point les nouvelles technologies ont envahi le monde sportif.

Comme dans de nombreux autres domaines, c’est notre capacité à innover dans de multiples directions qui mène à une évolution globale très rapide des « règles du jeu ».

Depuis Jules César, on sait que le sport a aussi comme rôle de permettre aux tribus de confronter leurs champions sans forcément se faire la guerre. Et depuis les gladiateurs, on sait que parfois, tout est bon pour préparer les champions. Dès lors, le sport a toujours eu une frontière poreuse avec l’art de la guerre ou de celui de la médecine. Et naturellement, il hérite de ces derniers le concept que l’éthique doit avoir une part primordiale dans le contrôle nécessaire des innovations « acceptables ». En gros, cela doit rester un jeu. Une idée à garder en tête lorsque l’on visite les dernières innovations sportives…

Améliorer la performance

« Plus haut, plus vite, plus fort » : améliorer la performance a toujours été le premier objectif de l’innovation sportive.

La capacité humaine

Rien ne vaut l’entrainement, mais la pure capacité physique bénéficie en permanence de nos nouveaux savoir-faire en termes de dopage plus ou moins autorisés. De fait, n’importe quel régime alimentaire optimisé pour un développement musculaire spécifique ou pour amener la capacité sanguine ou pulmonaire par exemple à son top au jour de la compétition est de fait une sorte de dopage.

On peut aussi jouer médicalement sur la capacité à rattraper un décalage horaire ou à rattraper des efforts de la veille dans le cas d’une compétition sur plusieurs jours (Tour de France, Roland Garros…).

La recherche médicale dans le domaine sportif optimise tous les jours les compléments nutritionnels ou pharmaceutiques des athlètes. Elle s’appuie pour cela directement sur la recherche pharmaceutique, mais aussi désormais, comme pour tout test thérapeutique sur population humaine, indirectement sur les développements des senseurs connectés et de l’analyse big data, par exemple pour suivre au mieux les effets de tel ou tel changement de régime.

Les équipements

Depuis « l’affaire » des combinaisons de natation, on sait que la performance peut être améliorée par les nouvelles technologies même au niveau d’un slip de bain. Si l’impact de l’innovation « externe au corps » était évident dans des compétitions « sportives » qui étaient plus des showrooms de savoir-faire en matière d’équipements (Formule 1, Course de l’America …), il est désormais décliné à toutes les disciplines sportives.

La moindre chaussure de course bénéficie de technologies avancées en matière de restitution d’énergie. Les vélos ont été plus qu’allégés, les voiliers volent littéralement au-dessus des flots, les perches sont de véritables ressorts à impulsion, les fusils sportifs n’ont plus de recul, etc.

Au point que certaines inventions ont été bannies des terrains de sport car elles rendaient le sport lui-même impraticable en l’état. On peut citer les raquettes à double cordage qui auraient pu aller jusqu’au point où il devenait littéralement impossible de renvoyer la balle.

Bien entendu, cette capacité à innover pose la question de l’égalité d’accès des sportifs à de tels équipements parfois extrêmement coûteux (sujet mis en avant de manière sympathique par l’exemple largement diffusé de l’équipe de bobsleigh de Jamaïque).

Dès lors la question qui se pose aux différentes instances sportives est celle des limites à imposer, tout en limitant au minimum notre capacité à l’innovation.

Parce que si cela doit rester un jeu, le savoir-faire qui a permis de passer les 6,20m à la perche est un exploit qu’il aurait sans doute été dommage de s’interdire.

Améliorer la santé

En matière sportive, la performance n’est cependant pas la seule fin de l’innovation. On le sait, la pratique sportive est un impératif de santé individuelle et publique. Et les innovations technologiques changent aussi quotidiennement la donne dans ce domaine, en permettant d’étendre, d’inciter, d’améliorer et de sécuriser la pratique sportive individuelle ou collective.

Étendre

La technologie améliore en permanence l’accès au sport en général ou à certains sports en particulier. Essentiellement dans deux axes :

  • L’accès des personnes handicapées, comme le démontre chaque nouveaux Jeux paralympiques et les dernières nouveautés en matière de prothèses médicosportives.
  • La mise à disposition d’équipements simplifiant l’apprentissage et la pratique et la rendant accessible à des personnes moins sportives ou moins courageuses. On peut citer en vrac le développement d’équipements de difficulté progressive en salles de sport, les skis paraboliques simplifiant l’apprentissage, les derniers équipements d’alpinisme, les différents équipements de glisse aquatique… Un des exemples les plus frappants étant les vélos électriques qui ont remis en selle une partie de la population. La technologie a aussi permis d’étendre la pratique à domicile plus loin que la simple séance d’aérobic télévisuelle, depuis les vélos d’appartement aux dance mats des jeux sur console en passant par les cours en ligne (sans parler des ceintures électriques faisant effet de contracteurs musculaires dont le caractère « sportif » est débattable).

Inciter et améliorer

Un axe complémentaire a été celui de l’incitation à la pratique. On a en particulier multiplié les différentes app mobiles et objets connectés (montres, capteurs…) permettant de s’auto-motiver à coups de dépassement d’un record précédent ou de calories brulées. Avec en prime la capacité à partager sur les réseaux les efforts et exploits individuels.

Ces mêmes outils, en suivant la pratique (quotidienne ou non) et fournissant des conseils adaptés peuvent aussi améliorer cette pratique et les bienfaits associés en matière de santé.

De manière moins individuelle, les progrès de la captation et de l’analyse intelligente des données permettent aux laboratoires, corps médicaux ou gouvernements de récolter ces données individuelles, constater les réels effets au niveau des populations, adapter les programmes et communications en matière de santé, et déclencher les investissements dans les innovations les plus efficaces.

Sécuriser

Tout aussi critique est l’apport des nouvelles technologies dans la sécurisation de la pratique sportive. Comme il serait illusoire de tenter de lister ne serait-ce que de manière générique l’ensemble des changements structurants récents, on se contentera de quelques exemples pour montrer la variété des évolutions concernées :

  • La protection physique du sportif : évolution des protections physiques comme les casques, armures (moto, snowboard…), …
  • Les matériels de pratique eux-mêmes : voitures, parachutes, équipement de plongée…
  • Les matériels et équipements de sécurité : lignes de vie en accrobranche, pistes cyclables…
  • L’évolution des moyens d’alerte sur la santé individuelle : senseurs portés (cardio), balises en mer ou d’avalanche…
  • Les moyens d’alerte au secours du fait de la couverture mobile.
  • Les moyens de soins d’urgence locaux : électro-cardio télégérés, télémédecine d’urgence…
  • La vitesse d’intervention externe : capacité à envoyer les produits et équipements par drone…

L’effet cumulé a très largement amélioré la sécurité du sport. Avec comme réserve que, se sentant sécurisés, certains sportifs sont amenés à prendre plus de risques qu’auparavant, parfois inconsidérément.

Le sport des autres

Pour le spectateur de la compétition sportive aussi, les nouvelles technologies ont changé la donne. Quelques exemples significatifs :

  • En matière d’arbitrage, on fait de plus en plus appel à la reconnaissance d’image ou la modélisation 3D de la situation pour déterminer selon les cas qui a passé la ligne en premier, est-ce que le palet est entré dans le but, est ce que le joueur a commis une faute, etc. On utilise aussi les nouvelles technologies pour détecter les autres mauvaises pratiques sportives : dopage, équipements illicites (vous savez, le moteur caché dans le vélo…), etc.
  • En matière de suivi des compétitions, pour les arbitres comme pour les spectateurs, les caméras, ralentis, micros directionnels, écrans géants et autres ont très largement amélioré l’expérience de partage de l’activité sportive… faite par d’autres.

  • Sans compter les usages sociaux périphériques au sport de la vie 2.0 : capacité à suivre, partager, commenter la compétition en déplacement sur un simple smartphone, etc. Parmi ceux-ci, un axe très développé depuis l’avènement du big data et des senseurs portés par les athlètes eux-mêmes est le développement des statistiques de la performance sportive des champions. On compte tout : nombre de pas, d’accélérations, de passes… Cela abreuve l’espionnage autorisé du fonctionnement du futur adversaire, la soif d’information à commenter du journaliste sportif tout autant que toute l’industrie du pari sportif qui a été l’une des grandes gagnantes de ces évolutions. L’intelligence artificielle est même largement sollicitée pour évaluer des « patterns » de fonctionnement d’une équipe dans sa globalité.

L’avènement du ESport

Enfin ce tour d’horizon serait incomplet sans mentionner le ESport. S’il est une évolution qui n’aurait pas pu être envisagée sans les technologies modernes, c’est bien celle de la simulation complète de la pratique sportive. Les budgets et audiences internationaux atteints par le ESport ont largement lancé le concept, en atteste l’intérêt croissant des annonceurs et médias.

Tout comme le sport classique, définir la frontière du ESport est peine perdue. Selon les pays, cultures et pratiques, telle ou telle activité est un jeu ou un sport ou les deux : posez-vous la question, selon vous le tir à l’arc est un sport ? La pétanque ? Les échecs ? Un jeu de guerre en ligne est-il un Esport ? Si l’on prend par exemple comme définition du ESport la simulation 3D d’un sport classique, alors League of Legends ne serait pas du ESport, ce qui ne semble pas très efficace comme définition.

Cela étant, si on s’intéresse uniquement aux simulation de sports classiques (comme le classique FIFA 2022 ou autre), apparait un enjeu intéressant en termes d’innovation : comment simuler la fatigue ou la variation des capacités physiques d’un être humain d’un jour sur l’autre ? Mon avatar peut-il mal dormir dans le Metaverse ? On a donc encore des travaux intéressants devant nous.