Si le mois dernier vous avez préféré suivre la finale de la Stanley Cup (Go Avs !) plutôt que d’aller à Viva Tech, voici un court résumé du match de l’année entre Metavers et Web 3.0.

Le buzz du moment

C’est désormais une tradition, au salon Viva Technology il convient d’avoir le T-shirt du sujet High-Tech du moment. Dans les 5 années précédentes, on a ainsi pu montrer qu’on était à la page en discutant selon les cas cybersécurité, Cloud, crypto monnaie, data, blockchain, NFT, IA, quantique, green, durable ou innovation frugale.

Cette année, il fallait parler le Metavers (ou mieux, « Metaverse » en version originale).

Le principal point commun avec les buzz précédents semble avant tout être le FOMO syndrome (« fear of missing out »). A savoir que le risque de rater la vague l’emporte sur la crainte qu’un investissement dans le metavers ne soit porteur que de peu d’opportunité business. Et le fait que de nombreuses entreprises ne soient pas toujours très claires sur ce qu’elles entendent par Metavers ne semble inquiéter personne.

A Viva Tech, chaque année, il est de bon aloi d’afficher un optimisme renouvelé dans l’innovation technologique et d’annoncer des lendemains qui chantent, comme le chiffre de 5.000 milliards de $ d’impact du Metavers en 2030 prédit par McKinsey, ou l’image de chacun de nous passant entre une et huit heures par jour dans le monde virtuel chaque jour.

Il convient donc de challenger un peu le propos.

De quoi parle-t-on ?

Si le sujet a été propulsé dans les médias par Meta (ex Facebook) il y a 2 ou 3 ans, ni les concepts, ni les réalisations, et encore moins le terme ne sont réellement nouveaux.

Premier écueil avant même de décrire la situation actuelle : depuis son origine dans le roman « Snow Crash », l’idée sous-jacente du metavers est qu’il est unique. Un monde parallèle virtuel où nous serions tous représentés chacun par un avatar personnel interagissant avec les différents contenus créés dans le réseau. Cette unicité et globalité, c’est ce qui différencie le metavers des autres simulateurs utilisant la réalité virtuelle ou augmentée, depuis le simulateur d’apprentissage des pilotes d’avion au jeu vidéo à monde ouvert. C’était l’idée originale de Second Life dont l’histoire dira si le seul tort aura été d’arriver trop tôt.

Mais les grands du net type GAFAM et autres ont bien compris que le vrai enjeu c’est d’être celui chez qui le metavers sera en quelque sorte « hébergé ». Du coup, on assiste pour l’instant plus à la création de plusieurs mondes parallèles en concurrence que d’un seul unique metavers, ce qui – au moins pour un temps – rend le concept moins attirant et fort peu innovant.

Vu de loin, la « promesse » du metavers ressemble fort à la simple juxtaposition d’existants au sein desquels on pourra juste faire sauter son avatar d’un point à un autre en conservant son profil personnel. Rien de nouveau pour qui a une console de jeu ou a connecté son navigateur à son compte Google.

De même : casque de réalité virtuelle, télétravail, télé formation, jeu multijoueur en ligne, modélisation 3D, jumeau numérique, paiement virtuel, devices détectant nos mouvements… tout cela existe déjà. On peut visiter le Louvre en 3D depuis sa chambre à Pékin ou habiller son avatar d’une robe virtuelle sur son app mobile depuis des années.

En résumé, le metavers semble être à ce jour avant tout un petit coup de peinture marketing sur des technologies assez éprouvées. Lequel ne semble répondre à aucun besoin spécifique non couvert.

Alors pourquoi les entreprises ne parlent-elles que de cela ?

Parce que les trois dernières décennies ont prouvé que le « driver » principal de l’acte d’achat technologique grand public est l’effet de mode allié au réflexe pavlovien de simplicité.

On cherche sur Google, on achète sur Amazon, on commande un Uber, on regarde Netflix ou on s’achète le dernier iPhone parce que d’une part tout le monde le fait et que par ailleurs c’est simple et « paresseux ».

Et l’effet de masse est terriblement lié à l’effet de mode/communauté générationnelle (on ne va pas se mettre sur Facebook parce que c’était le truc de nos parents, on oublie Twitter et Insta et on attend déjà le futur successeur de TikTok qui sera fonctionnel sur la 6G et l’iPhone 27).

Donc si les GAFAM annoncent que le metavers sera le « next truc », les entreprises estiment que le public s’y portera par réflexe et donc qu’il faut y être pour ne pas rater le marché (je n’ai pas compris aussi vite que mes concurrents que Facebook ou LinkedIn était un canal de vente, on ne m’y reprendra plus) .

Bref, bien que peu innovant technologiquement, le metavers pourrait être un grand succès autoréalisateur, car les Mark Zuckerberg ou McKinsey sont en matière d’influenceurs auprès des entreprises ce qu’une Oprah Winfrey peut être auprès du grand public.

Les entreprises grand public tablent sur le fait que l’essentiel de leur marché ira dans le metavers de gré ou de force, tout comme chacun a fini par avoir son compte sur les réseaux locaux, même ceux qui ne le souhaitaient pas.

De plus, et les spécialistes du théâtre ou du jeu de rôle professionnel ou ludique le savent bien, plus on permet à un individu d’incarner un avatar proche de l’humain, plus il lui fait passer ses propres sentiments. Donc dans le metavers, faute de pouvoir faire plus, on sera en revanche plus nous-mêmes. Et c’est sur cela que comptent certaines entreprises et administrations pour nous profiler avec encore plus de précision.

Sans compter les entreprises spécialisées qui y ont un intérêt direct de vente de produits metavers-specific : développement 3D, fabricants de lunettes, détecteurs corporels et autres accessoires, smartphones ou PC metavers-enhanced…

Metaverse 2022

Mais on allait vers le Web 3.0 ?

Petit rappel : le Web 1.0, c’était la capacité de naviguer dans l’ensemble des contenus répartis sur la toile.

Le 2.0 c’était la capacité décentralisée grand public d’y rajouter ses propres contenus publics (depuis faire sa page perso jusqu’aux réseaux sociaux et commentaires des contenus des autres).

Le 3.0 s’annonçait comme la capacité tout aussi décentralisée et grand public de monétiser ses contenus : chacun peut faire sa « boutique », son blog « payant », acheter ses « digital assets », louer sa voiture sans passer par une plateforme tierce ou vendre ses créations virtuelles à coups de NFT, crypto-paiements et autres smart contracts validant le service rendu.

Sauf que…

Sauf que les GAFAM n’ont aucun intérêt à ce que l’activité économique se fasse hors de leur marketplace.

D’où la stratégie de recréer une marketplace étendue, un peu sexy (on ressort Second Life des oubliettes avec des graphismes plus à jour), mais surtout centralisée. Le Metavers, c’est avant tout Amazon marketplace 2.0. Et c’est a priori plutôt bien joué d’un point de vue marketing.

Bien sûr l’idée c’est de nous permettre quand même de créer notre propre site personnel pour louer notre perceuse au voisin ou lui revendre l’énergie de nos panneaux solaires, mais à condition de le faire dans le metavers. Avec comme bénéfice pour les entreprises de récupérer toujours plus de données nous concernant, ce qu’elles pourront monétiser en nous proposant des services complémentaires dans le metavers – bénéficiant du fait que nous y seront déjà.

Alors bonne idée ?

En quittant Viva Tech, la question ne se posait pas. De l’avis général, le metavers allait s’imposer et comme pour toutes les grandes aventures high tech faute de besoin existant, les acteurs sauront bien le susciter.

Nul doute que le metavers sera fun. Et qu’il rapportera beaucoup à ceux qui auront su surfer sur la vague. Et que, s’il attire naturellement vers lui les gros investissements en cette période de relance, il finira par être générateur d’innovation structurante, faute d’en être lui-même une à l’origine. Les acteurs de la transformation digitale doivent donc s’intéresser de près aux technologies et opportunités concernées.

Il reste que, comme nous l’ont rappelé quelques auteurs de science (pas si) fiction célèbres, à trop vivre dans un monde virtuel, il ne faudrait pas oublier qu’on a une priorité évidente à sauver notre monde réel. Surtout si la dépense énergétique nécessaire pour maintenir online 24/24 un multivers de 7 milliards d’habitants s’avère devoir nous coûter quelques glaciers.

Donnons-nous donc rendez-vous dans le [business du] metavers pour en discuter. Mais ne nous y précipitons peut-être pas trop vite : si vous avez fait partie des adolescents scotchés huit heures par jour devant leur PC ou console, vous savez qu’il n’y a qu’un pas entre Second Life et No Life.

Nous vous souhaitons de bonnes vacances dans le monde réel…