Les années passées sur les bancs de l’école nous ont donné à chacun une vision très différente des mathématiques : une horreur, un truc incompréhensible, un mal nécessaire, une option, un coefficient, une science, un art, un truc magique, une passion, une sélection injuste… Quelle que soit notre perception, il faut constater que, pour des raisons diverses, les gouvernants français ont depuis quelques décennies fortement diminué le niveau d’enseignement des mathématiques dans la quasi-totalité des filières et niveaux scolaires.
De manière plus soutenue depuis un an, de nombreux acteurs français expriment leur inquiétude profonde face à cette baisse de niveau, mettant en avant le risque à moyen terme pour notre économie. Mais notre régression sur les maths pourrait entraîner des conséquences négatives dans de nombreux autres domaines.
Pas besoin de maths pour être boulanger, Kylian Mbappé ou influenceur sur Internet
Depuis la génération des « Milleniums », les modèles proposés aux jeunes pour se projeter dans la vie active ne sont plus les chercheurs, ingénieurs ou astronautes. Même le « trader », qui pourtant était plus représenté comme un « joueur » qu’un statisticien ou économiste, est dépassé. On vante désormais des métiers qui « (f)ont du sens ». C’est clairement un progrès de manière générale.
En particulier, on insiste à raison sur le fait que ce n’est pas parce qu’on est dernier en maths dans la classe (il y en a toujours un) que l’on est forcément un « raté ».
Cependant, s’il y avait sans doute à se questionner il y a 50 ans sur un processus d’apprentissage et de sélection élitiste basé uniquement sur une « méritocratie mathématique », on a sans doute été un peu rapide à réduire drastiquement l’enseignement minimal des mathématiques au plus grand nombre, et donc, entre autres, à ceux qui pouvaient y trouver une voie ou une passion.
Au point que certaines Grandes Écoles, ayant vu le risque, en sont arrivées à mener une réelle guerre de résistance face à la baisse d’exigence du niveau de maths qui leur était demandé.
Mon smartphone est ce qui « compte » le plus pour moi
Apprendre les mathématiques, c’est apprendre à raisonner non pas sur des idées (ce qui est le domaine de la philosophie – très utile par ailleurs), mais sur des vérités établies et prouvées. Intégrer la logique, c’est éviter l’à-peu-près, le mensonge ou la manipulation.
Malheureusement, à utiliser des termes abstraits et difficilement compréhensibles (axiomes, théorèmes…) on masque cette idée simple, valable depuis Platon : la théorie mathématique, c’est la vérité, celle qui reste stable et prouvée.
Or on a de plus en plus besoin de garder ce repère stable et prouvé dans un monde où la population, les idées, les technologies, les échanges et les changements d’environnement évoluent de plus en plus vite sans qu’on puisse toujours en évaluer en temps réel les impacts.
Quels que soient les changements technologiques ou les dernières théories complotistes, un cercle a toujours 2πR de rayon et – n’en déplaise à certains républicains américains – la géométrie prouve que la terre n’est pas plate.
Rappelons-nous qu’à défaut de mathématiques, nous nous en remettons au bon sens, à la majorité, à Internet, au plus charismatique ou à toute autre source scientifiquement fausse qui peut apporter les pires catastrophes économiques, politiques ou techniques.
Faire des maths, ce n’est donc pas que pour la recherche…
… mais on a aussi besoin d’avoir un vivier conséquent de bons mathématiciens pour continuer d’approfondir nos capacités en ingénierie et recherche.
La France est l’un des pays qui a été historiquement le plus récompensé par les médailles Fields, mais qui souffre de plus en plus de l’exil des cerveaux. On peut soit s’enorgueillir, soit déplorer que « les maths, c’était mieux avant », mais il est sans doute plus opportun de regarder l’avenir de la recherche en mathématiques pour redonner l’envie – et les moyens – de faire des maths.
Pour cela, il faut absolument, non seulement redonner des heures d’enseignement, mais aussi changer notre discours sur les maths dès l’école.
Combien pensent encore par exemple que les maths, ce n’est pas pour les filles ?
Il faut aussi passer le message qu’investir une partie de sa jeunesse à bien comprendre les maths, ça ne veut pas forcément dire qu’on fera carrière « dans » les maths, mais que ça aidera dans sa vie professionnelle comme dans sa vie personnelle, quels que soient les choix futurs. Le même discours qu’on a finalement, là aussi avec beaucoup de retard, mis en place pour expliquer pourquoi il était important d’apprendre l’anglais, même pour un futur agriculteur ou plombier.
Notre niveau global en maths nous aide donc non seulement à préserver notre économie, mais aussi à développer et comprendre les bonnes technologies, prendre les bonnes décisions politiques, etc.
Loin de nous dispenser des maths, les outils modernes demandent au contraire que l’on reste tous compétents en la « matière ». Qu’on le veuille ou non, on est lancé dans l’intelligence artificielle, les réseaux neuronaux, le décryptage du génome, l’informatique quantique et tout un ensemble de technos et concepts qui nous impactent tous les jours et dont on sera plus esclaves que bénéficiaires si on ne les comprend pas.
L’un des exemples les plus évidents à court terme concerne le réchauffement climatique : on a presque autant de théories – et au moins autant de ressentis – que d’individus sur la planète. Or c’est partiellement notre survie qui en dépend, donc il est plus qu’opportun d’avoir une analyse stable, réelle, prouvée et partagée de ce qui se passe et va se passer. Or à ce jour, seules les maths sont à même de prouver leur propre vérité et nous conduire vers de vraies solutions.
Nous avons besoin de former plus d’ingénieurs. Et ces nouveaux ingénieurs devront certes savoir réutiliser ce qu’on leur a appris, mais surtout créer de nouveaux savoirs et produits fiables, basés sur des preuves mathématiques.
Alors refaisons des maths.
Et en plus, c’est fun !