On pourrait se croire dans un ancien James Bond : cet automne, plusieurs câbles sous-marins ont été coupés impactant la qualité des services Internet et faisant peser de forts soupçons sur les sous-marins russes. Du coup, le focus des geeks du Net est – très temporairement – retombé du monde des étoiles ou des Metavers divers vers le plancher des vaches et même les fonds sous-marins.

L’occasion de rappeler que notre dépendance de plus en plus forte au Net est aussi une dépendance aux quelques 500 câbles sous-marins qui font transiter 99% des données internationales.

Où en est-on sous les mers ?

Si l’histoire des télécommunications sous-marines ne date pas d’hier, les premiers câbles télégraphiques datant des années 1850, le premier câble téléphonique n’a vu le jour qu’un siècle après.

L’explosion des capacités n’a cependant démarré qu’avec la maitrise de la fibre optique sous-marine, à la fin des années 1980. Et avec elle le basculement des volumes de la voix vers la donnée, et la possibilité de faire des connexions plus longues. A la fin du vingtième siècle est mise en opération le plus long câble sous-marin, reliant une quarantaine de sites depuis la Belgique jusqu’à la Corée en passant par Suez, et avec une branche vers l’Australie, soit 39.000 kilomètres au total (l’équivalent d’un tour du monde). Aujourd’hui, la distance cumulée des câbles sous-marins équivaut à 33 fois ce tour du globe.

Plus encore que le nombre et la distance, c’est le débit des câbles qui a changé la donne. Entre le premier transatlantique TAT-1 de 1956 et le « Marea » installé par Microsoft et Facebook en 2017 entre les US et l’Espagne, le nombre de données par seconde transitant par un unique câble a été multiplié par… 50 millions. Bien entendu, la technologie (lasers, fibres optiques, diodes, répéteurs sous-marins, etc.) y est pour beaucoup, mais l’autre révolution vient du changement des acteurs.

Nouveaux acteurs

Historiquement les câbles étaient installés et opérés par des opérateurs de télécommunications nationaux et à destination essentiellement des grands organismes financiers. Les PTT français (pour les plus jeunes : le sigle désignait l’administration des Postes, Télécommunications et Télédiffusion au temps où c’était encore un monopole d’État) avaient même un « Amiral de la Flotte » pour … 3 navires câbliers. Aujourd’hui, les câbles sont de plus en plus la propriété des grands du Net. Car la capacité à envoyer instantanément des volumes énormes à l’autre bout de la planète est critique pour le développement du Cloud, du big data, du streaming (vous savez, Netflix…) ou du Metavers. Sans compter le broadcasting de toutes les données issues des IoT et de la 5G.

L’objectif avoué pour les Google et autres, c’est donc avant tout d’avoir de la réserve face à la croissance des volumes. Mais c’est aussi mettre en place toute une redondance réseau par un maillage dense, afin de permettre au Net de résister à des coupures accidentelles ou non. Sans compter la possibilité d’écouter, filtrer ou couper le trafic le cas échéant.

On va donc encore poser du câble au fond des mers : TeleGeography a ainsi prédit en avril dernier que nous installerons pour 10 milliards de dollars de nouveaux câbles entre mi 2022 et fin 2024. Soit presque autant qu’au total des 5 années précédentes, en moitié moins de temps.

Cela reste de la géographie

Puisque tout n’est pas totalement virtuel dans le monde du Net, il peut être intéressant de prendre une minute pour regarder la carte de ces câbles.
Alors même qu’on note une mondialisation et une uniformisation des usages des données et du Net, et qu’on déploie les satellites ou stations 5G en essaim, les câbles restent très localisés.

La prépondérance historique des besoins des pays « riches », la facilité de pose côtière et la desserte des populations côtières expliquent le « cabotage » historique des câbles en 4 axes principaux : Amérique du Sud-Centrale-Caraïbes-Amérique du Nord, Afrique-Europe, Asie-Suez-Europe et Asie-Côte Ouest.

Ce que montre la carte c’est surtout les points de faiblesse du Net mondial, à commencer par le Canal de Suez ou certaines zones d’atterrissage, comme Marseille. Et aussi les impacts potentiels d’événements politiques comme le Brexit. Cela n’a pas échappé à certains Grands du Net qui pourraient arriver avec de nouveaux scénarios. Par exemple, par sa position géographique particulière, au croisement des lignes entre Afrique, Méditerranée, Atlantique et UK, le Portugal pourrait avoir un beau coup à jouer.