Entre les différentes nouvelles des Flamanville, Hinkley Point, Fukushima, Taishan, Fessenheim ou Zaporijjia, la gouvernance des projets EPR, SMR ou AMR, l’évolution du prix de l’énergie et les objectifs de décarbonation, et les diverses déclarations politiques, il peut être difficile de suivre ce qui se passe réellement dans le secteur du nucléaire.

Un tour d’horizon rapide de ce qui évolue met ainsi en avant les questions relatives à la dépendance énergétique, à la prise en compte du cycle de vie complet du combustible ou des bâtiments, aux simplifications de gouvernance, réglementations ou catalogues d’équipements divers nécessaires, et aux meilleurs choix de mix énergétiques à court et moyen termes.

Suite en particulier au sabotage des pipelines Nord Stream et aux dernières évaluations de l’impact climatique des énergies fossiles, le nucléaire est revenu à la mode. Des pays comme la Belgique ou l’Allemagne repoussent la sortie programmée du nucléaire, pendant que d’autres comme les États-Unis étendent largement la durée de vie de leurs réacteurs existants et qu’enfin des pays comme la Chine ou la Russie annoncent la construction rapide de dizaines de nouveaux réacteurs.

Ingénieur(e) dans le nucléaire, la carte de visite du futur ?

Cependant, l’un des défis critiques du succès des derniers programmes nucléaires à travers le monde est plus caché. A l’ère de l’Intelligence Artificielle, construire et exploiter des centrales semble n’avoir jamais nécessité autant d’ingénieurs.

Or, dans les dernières décennies, entre les procès faits au nucléaire, les annonces un peu anticipées de sortie rapide de l’atome et l’appétence des métiers liés aux énergies nouvelles ou aux technologies informatiques, on a finalement très peu formé d’ingénieurs dans le secteur.

Il y a pourtant fort à faire, d’une part du fait du nombre de nouveaux réacteurs à produire, l’optique étant désormais de construire petit et en grand nombre pour bénéficier d’une logique d’industrialisation, et d’autre part car les technologies et contraintes évoluent très vite. Alors même qu’on est loin d’avoir finalisé et optimisé les EPR et SMR, on est déjà en train de mettre au point les systèmes AMR qui ne seront pour autant sans doute pas déployés avant 2035.

Les normes de sécurité et de sureté évoluent en permanence et les risques mis en avant par le conflit autour de Zaporijjia ne risquent pas de freiner la frénésie de réglementation. Le réchauffement climatique lui-même est à la fois un promoteur de la sortie des énergies fossiles, mais aussi une contrainte quand il s’agit de refroidir des réacteurs qui génèrent une eau pressurisée dont la température est de plus en plus élevée (plus de 500°C attendus pour les AMR).

On rentre dans un domaine qui, bien que globalement maitrisé, reste partiellement inconnu. Contrairement à de l’architecture de système plus classique, où les technologies d’IA seront bientôt à même de réaliser de manière sécuritaire et quasi optimale 99% de la conception, le nucléaire nécessite toujours des tests, expériences et contrôles progressifs qui seront essentiellement faits par des ingénieurs humains.

Un métier qui retrouve du sens

Il y a donc un message à porter rapidement dans les lycées, universités et écoles d’ingénieur. Rien qu’en France, la filière devrait représenter 300 .000 emplois en 2030. Dont la moitié à recruter et former d’ici là, du fait des départs à la retraite. Grosso modo, c’est l’équivalent de 10% des effectifs de l’ensemble des écoles d’ingénieurs. Et la situation est encore plus tendue dans les pays qui s’étaient très avancés dans la sortie du nucléaire.

La Chine a ainsi déployé non seulement un tissu industriel, mais aussi des filières de formation de haut niveau à grande échelle pour s’assurer de la capacité à mettre en service par elle-même une douzaine de réacteurs par an.

Avis aux recruteurs, il est temps de repenser le discours : le nucléaire est à nouveau une filière d’avenir, scientifiquement passionnante, exigeante et valorisante pour les jeunes ingénieurs. Et, si dans le même temps nous acceptons de modifier notre propre consommation énergétique pour la réduire et la tourner majoritairement vers l’électricité, nous donnons du sens à nos métiers en visant la décarbonation du système énergétique à l’horizon 2050, au moins en France.